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UNE LECTURE DE L’ŒUVRE DE LEON MARKARIAN
Après avoir traversé l’aire d’un garage où s’accumulent pièces métalliques, moteurs et tout l’appareillage d’une carrosserie, on monte quelques marches avant d’entrer dans le petit atelier de Léon Markarian. Depuis sa retraite de carrossier, il peint et dessine presque toute la journée dans ce lieu réduit à quelques mètres carrés où s’amoncellent déjà les cartonniers et les toiles. Le peintre n’entend déjà plus les vrombissements des moteurs. La vie tumultueuse du garage en contrebas ne lui parvient pas. Tout absorbé par son art, il caresse ses toiles, reprend ses dessins et revit comme en songe les scènes de la vie rurale du haut pays niçois ou de Corse où vit son fils. Ce sont aussi des paysages d’Italie : Milan, Venise, la Sicile, des natures mortes, des vases de fleurs allégoriques et toutes les scènes orientales des
danses, des banquets, Istanbul..., l’histoire du Génocide arménien.
Dans les premières œuvres, on est saisi par l’aspect universel de l’art de
Léon Markarian. Quel que soit le sujet, une fête de village ou un épisode tragique, le
peintre laisse régner l’harmonie. Les valeurs deviennent intem-porelles. L’homme,
avec son passé ses brûlures et ses affres, se fond dans une spiritualité qui empêche
tout désordre.
Le patronyme Markarian ne signifie-t-il pas “fils de prophète” ?
Bien que converti à la vie occidentale, avec ses mœurs et son pouvoir de
désacralisation, Léon Markarian détient de ses ancêtres le sens du symbole. Il n’accorde aucune place au hasard. Chaque personnage a son secret qui l’unit à un autre
grâce à une relation ontologique. S’il relate un épisode du Génocide, il prend soin de
créer une distance entre la scène et le spectateur pour éviter d’introduire la cruauté,
le chaos, la lutte. En établissant cette distance, il s’écarte lui-même de l’horreur
comme s’il prenait la place du démiurge capable de concevoir une finalité au
massacre. Tout au long de ses œuvres, l’artiste s’efforce de retrouver une valeur
intrinsèque. Rien ne s’impose avec violence, les figures sont des formes simples
elliptiques, qui évoluent dans une lumière irradiante sans lever ni coucher de
soleil, sans ombres.
Toute l’histoire de la peinture orientale ignore le trompe l’œil, l’illusionnisme pictural. Mieux encore, les iconographes rejettent la perfection susceptible
de déconcentrer le regard intérieur.
Léon Markarian est de ceux-là.
Les visages stéréotypés, les attitudes nonchalantes, les mains effilées, le
dessin des sourcils qui rejoignent l’arrête du nez, ne sont-ils pas des réminiscences,
des représentations du Christ Pantocrator qui illustrent les icônes et les chevets
d’église depuis les premiers pas de la chrétienté byzantine ?
Le peintre est innocent; en aucune manière il ne cherche à restituer l’art
des icônes, l’art de la transfigu-ration. Pourtant, lorsqu’il s’applique à dessiner ce
qui devrait être le croquis de ses tableaux avec la précision d’un miniaturiste, il se
fait, sans le savoir, le porteur d’une symbolique de l’image dont les illustrateurs du
Sacré ont le secret. Il recherche l’harmonie, l’équilibre hiérarchique qui constitue la
Beauté de l’icône. Peignant à plat, sans chevalet, Markarian épouse l’attitude de
l’iconographe et traduit à travers les sujets de la quotidienneté une théologie de la vision.
Léon Markarian compte aujourd’hui parmi les premiers peintres naïfs provençaux.
D’aucuns ignorent-ils Emile Crociani avec qui il entretenait une longue et solide amitié, Emilienne Delacroix resta longtemps la doyenne ? ...
“Je n’ai jamais pensé qu’un jour, je serai connu nationalement et même internationalement” disait-il. Léon Markarian mérite une place de choix sur les cimaises de l’Institution qui doit porter son art au rang de l’universel.
Je remercie Madame Markarian, ses enfants et sa famille qui ont permis l’organisation de cette exposition ainsi que tous les prêteurs qui ont apporté leur précieux concours.
Anne DEVROYE - STILZ
Conservateur du Musée
International d’Art Naïf
Anatole Jakovsky |
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